
Date de sortie : 24.10.2025
Label : Verycords
01 Saints kiss
02 Empty house
03 Sufferer
04 Nightwalk
05 Flesh cage
06 Neutral life neutral death
07 Cold sun again
08 Calix
09 Duality
10 Dormant
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Depuis leur émergence en 2017, le trio parisien Grandma's Ashes – Eva Hägen (basse/chant), Myriam El Moumni (guitare) et Edith Séguier (batterie) – n'a cessé d'affiner son identité sonore. Après The Fates (2021) et This Too Shall Pass (2023), qui les a fait tourner jusqu'en Corée du Sud, Bruxism marque une rupture. Cet album est rugeux, le romantisme éthéré laisse place à l'urgence brute.
Le titre même (référence au grincement de dents nocturne) pose le décor : ce disque est une incarnation physique de l'anxiété contemporaine. Dans cette jungle de béton, les trois musiciennes transmutent le stress urbain, l'écoanxiété et les violences sourdes du quotidien en une matière sonore dense, âpre, cathartique.
Dès l'ouverture avec Saints Kiss, le ton est posé : riff saturé hypnotique, basse omniprésente qui ondule, instillant une dissociation immédiate. Empty House exhale ensuite des vapeurs délicates, jouant sur les contrastes entre guitares aériennes et assises rythmiques lourdes. Le virage s'opère franchement avec Sufferer, dont l'intro grunge années 90 et le solo grinçant évoquent les heures sombres de Seattle, avant de fondre en légèreté fantomatique sur Nightwalk, où les vocalises en font presque un titre instrumental, ponctué de quelques mots en fin de titre.
Flesh Cage est un titre gothique-crossover : effets claquants, basse grondante, basculement vocal du clair au growl saturé sur la fin du morceau qui frappe comme un coup de poing. Neutral Life Neutral Death installe une atmosphère vaporeuse, avec ses nappes électroniques subtiles. Cold Sun Again déploie des vagues sonores massives, mêlant des dissonances proches du black metal à un chant aigu qui tranche le mur sonore comme une lame.
Le trio termine en crescendo : Calix berce d'abord en acoustique avant d'exploser en saturation électrique, Duality séduit par sa retenue sensuelle, et Dormant clôt magistralement l'album en 5'30 d'éruption progressive, de l'intimité acoustique aux growls gutturaux sur la fin, avec ses claquements de mains qui évoquent un rituel primitif.
La production de Jesse Gander (Brutus) capture parfaitement cette dualité : équilibre entre puissance brute et atmosphères immersives, le mix laisse respirer chaque texture et permet de bien ressentir l'énergie viscérale de Bruxism.
L'écriture de Bruxism se révèle d'une honnêteté chirurgicale, explorant les méandres de la psyché avec précision. Pour ne parler que des trois singles :
Saints Kiss plonge dans l'expérience de la dissociation comme refuge face au monde. Le vide intérieur s'impose face aux rires des autres, tandis qu'une attirance morbide vers une lumière incertaine évoque l'insignifiance de soi, minuscule insecte sur un mur observant une scène dont on est absent. C'est l'engourdissement comme mécanisme de survie.
Sufferer hurle la frustration d'être relégué au second rôle dans une chaîne alimentaire sociale impitoyable. La rage d'une gentillesse piétinée culmine dans une confession déchirante : se détester pour sa propre douceur dans un monde qui récompense la dureté. C'est un manifeste pour les âmes trop tendres refusant de s'endurcir, assumant leur vulnérabilité comme une force subversive.
Cold Sun Again personnifie magistralement la dépression chronique en compagnon glacial récurrent. Pas de pluie, juste ce soleil froid qui revient, une familiarité glaçante avec le froid intérieur même sous un été trompeur. Le paradoxe capture la résignation face aux cycles dépressifs qui trahissent jusqu'aux saisons.
Ces textes place le trio dans une ligue à part, loin des clichés gothiques convenus. C'est une plongée sans filet dans l'aliénation contemporaine, un goth rock féministe et éco-conscient qui mord l'âme.
Eva Hägen déploie une palette vocale impressionnante : de la clarté cristalline théâtrale aux growls gutturaux viscéraux (Flesh Cage, Dormant), cette large palette vocale sert un propos d'une rare authenticité.
Bruxism accélère, durcit, confronte avec ces growls. Les influences se précisent : textures industrielles, mélancolie sombre héritée de The Cure, exploration psychologique évoquant Radiohead ou Chelsea Wolfe, puissance tellurique à la Soundgarden, riffs lourds évoquant Queens of the Stone Age mais plus sombres. Le tout forge une identité propre, une sorte d'alternative-goth-rock-grunge résolument contemporain, vital, ancré dans l'urgence du moment.
Bruxism frappe au plexus : intensité viscérale, audaces hybrides, humanité. L'album transforme l'anxiété en brasier créatif. Un refuge pour les sensibilités à vif dans un monde brutal.
Un disque qui grince, qui mord, qui vit. Écoutez-le fort jusqu'à vous en faire vibrer l’âme.
Xavier